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Décret-loi du 9 avril 1940 (dit décret Sérol) assimilant à la trahison passible de la peine capitale la propagande défaitiste

Le 9 avril 1940, le ministre de la justice, Albert Sérol, socialiste, soumet à la signature du président de la République un décret-loi aux termes duquel la propagande défaitiste est assimilée à la trahison et de ce fait passible de la peine de mort. (Doc. 1)

Jusqu'alors cette propagande relevait du tribunal correctionnel qui pouvait la condamner en s'appuyant sur quatre textes juridiques :

1) le décret-loi du 24 juin 1939 réprimant la distribution et la circulation des tracts de provenance étrangère
2) le décret-loi du 1er septembre 1939 réprimant la publication d'informations de nature à exercer une influence fâcheuse sur l'esprit de l'armée et des populations.
3) le décret-loi du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution du Parti communiste.
4) le décret-loi du 3 novembre 1939 réprimant les actes susceptibles de nuire à la défense nationale.

Le rapport de présentation souligne que ce nouveau décret doit permettre de combattre la propagande communiste qui constitue la principale forme d'opposition à la guerre contre l'Allemagne nazie :

"La persistance des menées communistes, leur dessein évident de miner par tous les moyens le moral de la nation en guerre, témoignent que ceux qui les inspirent se sont faits les artisans d'une véritable entreprise de trahison." (Doc. 2)

D'ailleurs, la première mouture du texte mentionnait expressément cet objectif :

"sont coupables de trahison et par conséquent passibles de la peine de mort les individus qui, dans des cas déterminés, seraient convaincus d'avoir préparé, fourni ou stocké, afin qu'ils soient répandus, les instruments de propagande de la IIIe Internationale communiste". (1)

Ayant pour finalité de porter atteinte au moral de l'armée et des populations, la propagande défaitiste doit être analysée et sanctionnée comme un acte de sabotage au même titre que la destruction des matériels utiles à la défense nationale pour laquelle l'article 76 du code pénal (Doc. 3) prévoit la peine de mort.

C'est pour cette raison que le décret Sérol ajoute un nouvel alinéa à cet article :

"3° Tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale."

Dans sa nouvelle rédaction l'article 76 définit trois cas où le crime de trahison est constitué. (Doc. 4)



Réaction du Parti communiste

Dans son numéro publié le 10 avril 1940, soit le lendemain de l'adoption du décret Sérol, l'Humanité clandestine dénonce avec vigueur ce "décret scélérat" pris par un "gouvernement social-fasciste" en soulignant que le Parti communiste ne renoncera pas à son combat contre "la guerre impérialiste" :

Le décret scélérat

[...] Mardi, le ministre "socialiste" de la justice, Sérol, a soumis son décret-loi à la signature du président de la République !
Il est vrai que dans la forme, le décret diffère un peu de celui annoncé par l'agence Havas. Au lieu de dire cyniquement que seule sera réprimée la propagande communiste, on parle "d'entreprises de démoralisation de l'armée et de la nation".
Cette hypocrisie dévoile le père spirituel du décret : c'est Blum ! si ce n'était pas de l'hypocrisie, il faudrait commencer par l'appliquer à la racaille des Munichois et des amis de l'espion Abetz, à tous ceux dont les crimes d'hier ont préparé les massacres d'aujourd'hui. Il faudrait l'appliquer aux profiteurs de guerre et aux spéculateurs qui ramassent des fortunes dans le sang et les privations des travailleurs. Il faudrait l'appliquer à Paul Reynaud [président du Conseil et ancien ministre des Finances], auteur d'une fiscalité qui ruine les commerçants et les paysans et affame les familles des mobilisés, aux malfaiteurs du gouvernement qui ont aboli toutes les libertés et qui prétendent maintenant bâillonner le peuple sous la menace de mort !
Ce sont eux qui démontrent à la nation et à l'armée qu'elles ne souffrent et ne se battent ni pour la liberté, ni pour l'indépendance nationale. Leurs actes prouvent que cette guerre est une guerre des riches, une guerre contre le peuple !
S'ils veulent effrayer les communistes, le coup est manqué ! [...]
Vous avez beau prendre des décrets copiés sur ceux de Hitler, vos jours sont comptés messieurs les ennemis du peuples ! [...]
La France de 89, de 48 et de la Commune saura débarrasser le pays de votre tyrannie et laver la honte de vos décrets scélérats !
Avec, à sa tête, un parti trempé comme le Parti communiste, elle sûre de la victoire !

A BAS LE DECRET SCELERAT !
A BAS LE GOUVERNEMENT SOCIAL-FASCISTE !
A BAS LA GUERRE !

Dans une lettre du 11 avril 1940 adressée à la direction communiste installée à Bruxelles, Benoît Frachon, responsable du Parti communiste clandestin, souligne que le décret Sérol est un aveu d'échec du gouvernement dans sa répression des activités communistes :

"Maintenant le décret avec la peine de mort. Cela va certainement nous occasionner de nouvelles difficultés en particulier pour les lieux où éditer le matériel.
Naturellement cette violence est dictée par la progression du mécontentement et la sympathie toujours plus grande pour nous, ainsi que par le fait que malgré les arrestations notre travail se poursuit."

Auteur d'une démarche similaire à la même période, son adjoint, Arthur Dallider formule dans son rapport un commentaire identique :

"Vous avez vu le décret "peine de mort" certes il n'y a pas de panique parmi les amis mais cela va gêner, on le sent déjà, notre travail. Ce n'est pas un signe de force de la bourgeoisie bien au contraire, mais un signe d'impuissance d'arrêter par les moyens anciens le travail de notre parti. [...] Dès maintenant on peut affirmer que la bourgeoisie n'est plus en mesure même par la terreur de mettre fin à notre travail. La politique de lutte pour la paix, contre la guerre de notre parti est connue aujourd'hui des masses. Les méthodes de travail illégal commencent à devenir plus familières aux Cdes [camarades] et le mécontentement des masses ne peut que s'aggraver."


Non-application du décret Sérol

Le décret Sérol ne fera l'objet d'aucune application entre sa publication en avril 1940 et la fin de la guerre franco-allemande en juin 1940.

Les quatre ouvriers communistes qui seront condamnés à la peine de mort le 27 mai 1940 pour les sabotages des moteurs d'avion de l'usine Farman le seront sur la base de l'article 76 (2°) qui prévoit cette sanction pour :

"Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident".

Un communiste sera amnistié par le président de la République le 18 juin 1940 en raison de son âge. Les trois autres seront exécutés le 22 juin 1940 à Pessac, près de Bordeaux. 


Document 1 :

Décret-loi du 9 avril 1940 dit décret Sérol
qui assimile à la trahison passible de la peine capitale
l'entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation
ayant pour objet de nuire à la défense nationale

Le Président de la République française,

Sur le rapport (Doc. 2) du président du conseil, ministre des affaires étrangères, du vice-président du conseil, ministre de la coordination, du ministre de la défense nationale et de la guerre, du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre de l'intérieur, du ministre de la marine militaire et du ministre des colonies,

Vu le décret ayant force de loi du 29 Juillet 1939 portant codification des dispositions relatives aux crimes et délits contre la sûreté de l'Etat;


Vu l'article 36 de la loi du 11 Juillet 1938, modifié par la loi du 8 Décembre 1939;

Le conseil des ministres entendu,

Décrète :

Art. 1er. — L'article 76 du code pénal est complété par les dispositions suivantes :
"3° Tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale".

Art. 2. — Le présent décret est applicable à l'Algérie, aux Colonies et aux territoires d'outre-mer.

Art. 3. — Le président du conseil, ministre des affaires étrangères, le vice-président du conseil, ministre de la coordination, le ministre de la défense nationale et de la guerre, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'intérieur, le ministre de la marine militaire et le ministre des colonies sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera soumis à.la ratification des Chambres dans les conditions prévues par l'article 36 de la loi du 11 Juillet 1938, modifié par la loi du 8 Décembre 1939.

Fait à Paris, le 9 Avril 1940.

Albert LEBRUN.

Par le Président de la République :

Le président du conseil, ministre des affaires étrangères,
Paul REYNAUD.

Le vice-président du conseil, ministre de la coordination,
Camille CHAUTEMPS.

Le ministre de la défense nationale et de la guerre,
Edouard DALADIER.

Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Albert SEROL

Le ministre de l'intérieur,
Henri ROY.

Le ministre de la marine militaire,
C. CAMPINCHI.

Le ministre des colonies,
Georges MANDEL.

(Journal officiel du 10 avril 1940)


Document 2 :

RAPPORT
AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


Paris, le 9 avril 1940.

Monsieur le Président,

La persistance des menées communistes, leur dessein évident de miner par tous les moyens le moral de la nation en guerre, témoignent que ceux qui les inspirent se sont faits les artisans d'une véritable entreprise de trahison.

Les articles 75 (5°) et 77 (alinéa 1er) du code pénal, modifiés par le décret du 29 Juillet 1939, punissent déjà, à ce titre, de la peine capitale, tout français et tout étranger qui, en temps de guerre, entretient des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France. Des poursuites sont actuellement engagées en vertu de ces textes.

Mais, dans des cas analogues, on s'est trouvé souvent arrêté par la difficulté d'établir, en matière de propagande, la collusion des intéressés avec une puissance étrangère et l'on a dû se borner à les poursuivre en vertu des décrets des 24 Juin, 1er Septembre, 26 Septembre et 3 Novembre 1939 qui permettent seulement d'appliquer des peines correctionnelles.

Ces peines paraissent insuffisantes, eu égard à la gravité des actes qu'il s'agit de réprimer et aux conséquences qu'ils peuvent avoir au point de vue de la défense du pays. Il parait, en conséquence, nécessaire, soit de faciliter les conditions d'application de l'article 75 (5°), soit de le compléter par un texte nouveau, spécial à cette forme particulière de trahison que constitue la propagande faite dans l'intérêt de l'étranger, et comportant l'application de la même peine que celle portée à l'article 75.

C'est à la seconde solution que le Gouvernement s'est arrêté. Il lui a paru que le texte nouveau trouverait naturellement sa place à la suite de l'article 76 (2°), qui punit de mort le "sabotage" des matériels susceptibles d'être utilisés pour la défense nationale. Nul ne peut contester que le "sabotage" du moral de l'armée et des populations civiles ne puisse avoir des conséquences au moins aussi graves pour la sécurité du pays. Il est donc légitime de le réprimer avec la même rigueur.

La rédaction du texte que nous vous présentons à cet effet se modèle d'aussi près que possible sur la réalité qui le provoque. Une vaste entreprise de démoralisation, actuellement en cours d'exécution, se propose d'ébranler la force de résistance du pays à l'agression, en la sapant par des affirmations mensongères. Cette entreprise s'exerce plus ou moins ouvertement dans l'intérêt de l'étranger, et il n'est pas douteux qu'elle soit fomentée et alimentée par lui. Tous ceux qui y participent en connaissance de cause doivent donc encourir les peines de la trahison.

C'est pourquoi le nouvel article 76 (3°) combiné avec l'article 77 (alinéa 1er) punirait tout Français ou tout étranger qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale.

Ce texte, d'une portée générale, frapperait, en même temps que la propagande communiste, la propagande hitlérienne et, éventuellement, toute propagande présentant les mêmes caractères qui pourrait se manifester.

Pour éviter toute incertitude dans l'application du texte, et pour écarter toute appréhension sur la portée que celle-ci pourrait recevoir dans la pratique, la rédaction qui vous est présentée prend soin de préciser que l'accusation devra établir l'existence de trois éléments constitutifs :

1°- L'existence d'une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation, c'est-à-dire l'existence d'une organisation plus ou moins occulte poursuivant des efforts concertés en vue d'atteindre un but nettement déterminé. L'acte occasionnel d'un individu isolé ne suffirait donc pas à déchaîner la poursuite en vertu de l'article 76 (3°);

2°- Le but poursuivi par l'entreprise qui est de nuire à la défense nationale, c'est-à-dire de diminuer la capacité de résistance du pays vis-à-vis de l'agresseur, en minant la force morale des armées et des populations civiles. Une critique ou une manifestation d'opinion ne poursuivant pas ce but échappe donc aux prévisions du texte;

3°- Un acte de participation voulue et consciente à l'organisation ou à la mise en œuvre de l'entreprise criminelle. Un comparse inconscient ou occasionnel ne serait donc pas visé par le nouvel article.

Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, d'appréhender que le texte puisse recevoir une application extensive dépassant les intentions de ses auteurs. Le Gouvernement veillera du reste à ce que les poursuites engagées ne sortent pas du cadre ainsi tracé.

C'est sous le bénéfice de ces observations que nous avons l'honneur de soumettre à votre haute sanction le projet de décret ci-joint qui répond aux exigences formulées par l'article 36 de la loi du 11 Juillet 1938, modifiée par la loi du 8 Décembre 1939.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'hommage de notre respectueux dévouement.

Le président du conseil, ministre des affaires étrangères,
Paul REYNAUD.

Le ministre de la défense nationale et de la guerre,
Edouard DALADIER.

Le vice-président du conseil, ministre de la coordination,
Camille CHAUTEMPS.

Le ministre de l'intérieur,
Henri ROY

Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Albert SEROL.

Le ministre des colonies,
Georges MANDEL.

Le ministre de la marine militaire,
C. CAMPINCHI.

(Journal officiel du 10 avril 1940


Document 3 :

Articles 75, 76 et 77 du code pénal 
codifiés par le Décret-loi du 29 juillet 1939

Article 75. — Sera coupable de trahison et puni de mort :
1° Tout Français qui portera les armes contre la France;
2° Tout Français qui entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère, en vue de l'engager à entreprendre des hostilités contre la France, ou lui en fournira les moyens, soit en facilitant la pénétration de forces étrangères sur le territoire français, soit en ébranlant la fidélité des armées de terre, de mer ou de l'air, soit de toute autre manière;
3° Tout Français qui livrera à une puissance étrangère ou à ses agents, soit des troupes françaises, soit des territoires, villes, forteresses, ouvrages, postes, magasins, arsenaux, matériels, munitions, vaisseaux, bâtiments ou appareils de navigation aérienne, appartenant à la France, ou à des pays sur lesquels s'exerce l'autorité de la France;
4° Tout Français qui, en temps de guerre, provoquera des militaires ou des marins à passer au service d'une puissance étrangère, leur en facilitera les moyens ou fera des enrôlements pour une puissance en guerre avec la France;
5° Tout Français qui, en temps de guerre, entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France.
Seront assimilés aux Français, au sens de la présente section, les indigènes des pays sur lesquels s'exerce l'autorité de la France, ainsi que les militaires ou marins étrangers au service de la France.
Sera assimilé au territoire français, au sens de la présente section, le territoire des pays sur lesquels s'exerce l'autorité de la France.

Article 76. — Sera coupable de trahison et puni de mort :
1° Tout Français qui livrera à une puissance étrangère ou à ses agents, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, un secret de la défense nationale, ou qui s'assurera, par quelque moyen que ce soit, la possession d'un secret de cette nature en vue de le livrer à une puissance étrangère ou a ses agents;
2° Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident.

Article 77. — Sera coupable d'espionnage et puni de mort tout étranger qui commettra l'un des actes visés à l'article 75, 2°, à l'article 75, 3°, à l'article 75, 4°, à l'article 75, 5° et à l'article 76.
La provocation à commettre ou l'offre de commettre un des crimes visés aux articles 75 et 76 et au présent article sera punie comme le crime même.


Document 4 :

Article 76 du code pénal 
modifié par le Décret-loi du 9 avril 1940

Article 76. — Sera coupable de trahison et puni de mort :
1° Tout Français qui livrera à une puissance étrangère ou à ses agents, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, un secret de la défense nationale, ou qui s'assurera, par quelque moyen que ce soit, la possession d'un secret de cette nature en vue de le livrer à une puissance étrangère ou a ses agents;
2° Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident.
3° Tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale.