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Message de Paul Reynaud du 10 juin 1940 demandant au président des Etats-Unis "un appui moral et matériel par tous les moyens"

Sixième jour de l'offensive allemande lancée le 5 juin en direction de Paris, le 10 juin 1940 est aussi le jour de l'entrée en guerre de l'Italie.

C'est dans ce contexte que le président du Conseil, Paul Reynaud, avant de quitter Paris pour Tours, remet à l'ambassadeur des Etats-Unis, William Bullitt, un message à l'attention du président Roosevelt (Doc. 1). Ce message est transmis au président américain le même jour par télégramme (Doc. 2). Il sera rendu publique le 13 juin dans la presse américaine.

Dans sa lettre, Paul Reynaud appelle les Etats-Unis à s'engager pleinement dans le conflit européen en rompant avec la neutralité ("appui moral") et en fournissant une aide militaire ayant désormais pour seul limite l'envoi d'un contingent ("appui matériel").

Le discours prononcé le 10 juin par le président Roosevelt à Charlottesville sera présenté par la diplomatie américaine comme une réponse anticipée au message du même jour de Paul Reynaud. Cette première réponse sera complétée par un télégramme du Président Roosevelt daté du 13 juin 1940 (Doc. 3 et 4). Dans ce télégramme, il réaffirme sa détermination à fournir le matériel demandé par les Alliés.

Arrivé à Bordeaux la veille, Paul Reynaud prendra connaissance de la réponse du président des Etats-Unis le 15 juin dans l'après-midi. Ses espoirs d'une intervention de l'aviation américaine seront déçus. Il informera le gouvernement au cours du Conseil des ministres qui se tiendra à 16 h 15.


Document 1 :

Message de Paul Reynaud du 10 juin 1940
adressé au Président des Etats-Unis Franklin Roosevelt


Monsieur le Président,

Je veux d'abord vous exprimer toute ma gratitude pour l'aide généreuse que vous avez décidé de nous accorder en matière d'aviation et d'armement.
Depuis six jours et six nuits, nos divisions se battent sans une heure de répit contre une armée disposant d'une supériorité écrasante en effectifs et en matériel. L'ennemi est aujourd'hui presque aux portes de Paris.
Nous lutterons en avant de Paris, nous lutterons en arrière de Paris, nous nous enfermerons dans une de nos provinces, et si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du Nord et, au besoin, dans nos possessions d'Amérique.
Une partie du gouvernement a déjà quitté Paris. Moi-même, je m'apprête à partir aux armées. Ce sera pour intensifier la lutte avec toutes les forces qui nous restent, et non pour l'abandonner.
Puis-je vous demander, Monsieur le Président, d'expliquer tout cela vous-même à votre peuple, à tous les citoyens des Etats-Unis, en leur disant que nous sommes résolus à nous sacrifier dans la lutte que nous menons pour tous les hommes libres ?
A l'heure où je vous parle, une autre dictature vient de frapper la France dans le dos [l'Italie]. Une nouvelle frontière est menacée. Une guerre navale va s'ouvrir.
Vous avez généreusement répondu à l'appel que je vous ai lancé, il y a quelques jours, à travers l'Atlantique. Aujourd'hui, 10 juin 1940, c'est un nouveau concours, plus large encore, que j'ai le devoir de vous demander.
En même temps que vous exposerez cette situation aux hommes et aux femmes d'Amérique, je vous conjure de déclarer publiquement que les Etats-Unis accordent aux alliés leur appui moral et matériel par tous les moyens, sauf l'envoi d'un corps expéditionnaire. Je vous conjure de le faire pendant qu'il n'est pas trop tard. Je sais la gravité d'un tel geste. Sa gravité même fait qu'il ne doit pas intervenir trop tard.
Vous nous avez dit vous-même, le 5 octobre 1937 : « Je suis contraint et vous êtes contraints de regarder les choses en face. La paix, la liberté et la sécurité de 90 % de la population du monde sont mises en péril par les 10% autres pour cent qui menacent de briser tout l'ordre et toutes les lois internationales. Certainement, les 90 % qui désirent vivre en paix, sous le règne de la loi et en conformité avec les principes moraux qui ont été universellement acceptés à travers les siècles, peuvent et doivent trouver un moyen de faire prévaloir leur volonté ».
L'heure est maintenant venue pour ces 90 % de citoyens du monde de s'unir contre le danger mortel qui nous menace tous. J'ai confiance dans la solidarité du peuple américain dans cette lutte vitale que les Alliés mènent pour leur propre salut, mais aussi pour le salut de la démocratie américaine.



Document 2 :

The President of the French Council of Ministers (Reynaud) 
To President Roosevelt (1)

PARIS, June 10, 1940--6 p.m.
[Received 10:13 p.m.]

MR. PRESIDENT: I wish first to express to you my gratitude for the generous aid that you have decided to give us in aviation and armament. 

For six days and six nights our divisions have been fighting without one hour of rest against an army which has a crushing superiority in numbers and material. Today the enemy is almost at the gates of Paris. 

We shall fight in front of Paris; we shall fight behind Paris; we shall close ourselves in one of our provinces to fight and if we should be driven out of it we shall establish ourselves in North Africa to continue the fight and if necessary in our American possessions.

A portion of the government has already left Paris. I am making ready to leave for the front. That will be to intensify the struggle with all the forces which we still have and not to abandon the struggle. 

May I ask you, Mr. President, to explain all this yourself to your people to all the citizens of the United States saying to them that we are determined to sacrifice ourselves in the struggle that we are carrying on for all free men. 

This very hour another dictatorship has stabbed France in the back. Another frontier is threatened. A naval war will begin. 

You have replied generously to the appeal which I made to you a few days ago across the Atlantic. Today this 10th of June 1940 it is my duty to ask you for new and even larger assistance. 

At the same time that you explain this situation to the men and women of America, I beseech you to declare publicly that the United States will give the Allies aid and material support by all means, "short of an expeditionary force". I beseech you to do this before it is too late. I know the gravity of such a gesture. Its very gravity demands that it should not be made too late. 

You said to us yourself on the 5th of October 1937: "I am compelled and you are compelled to look ahead. The peace, the freedom and the security of 90% of the population of the world is being jeopardized by the remaining 10% who are threatening a breakdown of all international order and law. 

"Surely the 90% who want to live in peace under law and in accordance with moral standards that have received almost trusty acceptance through the centuries, can and must find some way to make their will prevail." 

The hour has now come for these.

PAUL REYNAUD

(1) Transmitted in a telegram from the Ambassador in France (Bullitt).
 
(Department of State Peace and War : United States Foreign Policy, 1931-1941)


Document 3 :

Télégramme du Président Roosevelt
du 13 juin 1940


Le 13 juin 1940

Votre message du 10 juin m'a profondément ému. Comme je l`ai déjà déclaré à vous-même et à M. Churchill, le gouvernement des Etats-Unis fait tout ce qui est en son pouvoir pour mettre à la disposition des gouvernements alliés le matériel dont ils ont un besoin si urgent. Nous redoublons nos efforts pour faire encore davantage. Ceci parce que nous croyons aux idéaux pour lesquels les alliés combattent, et que nous les soutenons nous-mêmes.

Le résistance magnifique des armées françaises et britanniques a profondément impressionné le peuple américain.

Et votre déclaration que la France continuera le combat pour la démocratie, même si cette lutte signifie un repli vers les possessions d'Afrique du Nord ou de l'Atlantique, m'a particulièrement impressionné. Il est de la première importance de se rappeler que les flottes françaises et britanniques continuent à avoir la maitrise de l'Atlantique et des autres océans; et que les matières premières des autres parties du monde sont nécessaires au maintien de toutes les armées.

Les paroles prononcées par le Premier Ministre Churchill, il y a quelques jours, par lesquelles il affirmait la volonté de résistance de l'Empire britannique, m'ont grandement encouragé; et il semble que cette même volonté anime le grand Empire français à travers le monde. La puissance navale dans les affaires du monde confirme encore les enseignements de l'Histoire, et l'Amiral Darlan ne l'ignore point.

(Pierre-Etienne Flandin, Politique Française 1919-1940)


Document 4 :

President Roosevelt
to the President of the French Council Of Ministers (Reynaud), 
June 13, 1940 (1)

[Telegram]

Your message of June 10 has moved me very deeply. As I have already stated to you and to Mr. Churchill, this Government is doing everything in its power to make available to the Allied Governments the material they so urgently require, and our efforts to do still more are being redoubled. This is so because of our faith in and our support of the ideals for which the Allies are fighting. 

The magnificent resistance of the French and British armies has profoundly impressed the American people. 

I am personally particularly impressed by your declaration that France will continue to fight on behalf of democracy even if it means slow withdrawal, even to North Africa and the Atlantic. It is most important to remember that the French and British fleets continue mastery of the Atlantic and other oceans; also to remember that vital materials from the outside world are necessary to maintain all armies. 

I am also greatly heartened by what Prime Minister Churchill said a few days ago about the continued resistance of the British Empire and that determination would seem to apply equally to the great French Empire all over the world. Naval power in world affairs still carries the lessons of history, as Admiral Darlan well knows.

(1) Transmitted in a telegram to the Ambassador in France (Bullitt). 
 
(Department of State Peace and War : United States Foreign Policy, 1931-1941)