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Discours de Paul Reynaud du 13 juin 1940 appelant les Etats-Unis à déclarer la guerre à l'Allemagne

Le 13 juin 1940, à Tours, le président du Conseil, Paul Reynaud, prononce à 23 h 30 un discours radiodiffusé dans lequel il appelle le président des Etats-Unis à déclarer la guerre à l'Allemagne pour sauver la France d'une défaite certaine (Doc 1).

Conséquence du Conseil des ministres de la veille et du Conseil interallié de l'après-midi, la requête du Président Reynaud, qui sera renouvelé dans un message envoyé le lendemain, sera rejetée par le président Roosevelt avec l'argument que seul le Congrès des Etats-Unis est compétent pour déclarer la guerre.


Conseil des ministres

Le 12 juin, un Conseil des ministres est organisé à 19 h 30 au Château de Cangé dans la banlieue de Tours.

Il débute par un exposé du commandant en chef des armées françaises, le général Weygand. Ce dernier affirme qu'il n'est pas en mesure d'établir une ligne de défense continue face à l'avancée des armées allemandes. Il souligne aussi que la destruction totale des armées françaises conduiraient à l'effondrement de l'Etat et au chaos. Sur la base de ces éléments, il recommande d'entrer rapidement en pourparlers avec l'Allemagne pour négocier un armistice. Il reçoit le soutien du vice-président du Conseil : le Maréchal Pétain.

Dans le débat qui suit, le président du Conseil, Paul Reynaud, s'oppose à cette proposition en arguant qu'on ne peut négocier avec le pouvoir nazi compte tenu de sa nature, que la France peut continuer la guerre si le gouvernement se réfugie en Afrique du Nord et enfin que les accords franco-anglais interdisent aux deux parties de conclure un armistice séparé.

Divisé, le Conseil des ministres ne prend aucune décision concernant la proposition de Weygand : ni rejet, ni approbation.

Il s'accorde un délai en décidant de consulter l'Angleterre afin de connaître sa position sur une éventuelle demande d'armistice du gouvernement français.


Conseil interallié

Le 13 juin se tient à la préfecture de Tours, un Conseil suprême interallié auquel participent, du côté français, Paul Reynaud et Paul Baudoin et, du côté britannique, Winston Churchill, lord Halifax, lord Beaverbrook et le général Spears.

Evoquant l'hypothèse d'une demande d'armistice française, Paul Reynaud demande à Winston Churchill si l'Angleterre accepterait de libérer la France de l'Accord du 28 mars 1940 interdisant aux deux parties de négocier un armistice séparé.

Opposé à tout armistice franco-allemand, le premier ministre britannique convainc le président du Conseil de solliciter l'intervention des Etats-Unis en arguant qu'une réponse favorable donnera à la France un motif légitime pour continuer la guerre et que le cabinet anglais s'engage dans le cas contraire à étudier la question posée par le gouvernement français.

C'est dans ce contexte qu'à 23 heures 30 Paul Reynaud lance à la radio un appel au président Roosevelt

Le lendemain, avant de quitter Tours pour Bordeaux, le président du Conseil remet à Anthony Biddle, adjoint de l'ambassadeur américain William Bullitt qui est resté à Paris, un message à l'attention du président Roosevelt dans lequel il renouvelle sa demande.


Réponse du Président Roosevelt

Le 15 juin, le président Roosevelt donne sa réponse dans un télégramme. Dans ce texte, il rend hommage au courage des armées françaises, promet de nouvelles livraisons d'armes, s'engage à ne reconnaître aucune annexion portant atteinte à l'intégrité du territoire français mais il écarte toute idée de déclarer la guerre à l'Allemagne au motif que cette décision appartient au Congrès.

Paul Reynaud prendra connaissance de la réponse du Président Roosevelt à Bordeaux dans la soirée, Le lendemain à 11 heures se tiendra un Conseil des ministres au cours duquel il informera le gouvernement.


Document 1 :

Discours de Paul Reynaud
du 13 juin 1940

Dans le malheur qui s’abat sur la patrie, il faut avant tout qu’une chose soit dite. Au moment où le sort les accable, je veux crier au monde l’héroïsme des armées françaises, l’héroïsme de nos soldats, l’héroïsme de leurs chefs. 

J’ai vu, arrivant de la bataille, des hommes qui n’avaient pas dormi depuis cinq jours, harcelés par les avions, rompus par les marches et par les combats. Ces hommes, dont l’ennemi avait cru briser les nerfs, ne doutaient pas de l’issue finale de la guerre, ils ne doutaient pas du sort de la patrie. L’héroïsme des armées de Dunkerque a été dépassé dans les combats qui se livrent de la mer à l’Argonne. L’âme de la France n’est pas vaincue. Notre race ne se laisse pas abattre par une invasion, le sol sur lequel elle vit en a tant vu au cours des siècles ! Elle a toujours refoulé ou dominé l'envahisseur. Tout cela, les souffrances et la fierté de la France, il faut que le monde le sache. Il faut que partout sur la terre, les hommes libres sachent ce qu’ils lui doivent. L’heure est venue pour eux de s’acquitter de leur dette. 

L’armée française a été l’avant-garde de l’armée des démocraties. Elle s’est sacrifiée, mais, en perdant cette bataille, elle a porté des coups redoutables à l’ennemi commun. Les centaines de chars détruits, les avions abattus, les pertes en hommes, les usines d’essence synthétique en flammes, tout cela explique l’état présent du moral du peuple allemand, malgré ses victoires. La France blessée a le droit de se retourner vers les autres démocratie et de leur dire : « J'ai des droits sur vous ! ». Aucun de ceux qui ont le sentiment de la justice ne pourrait lui donner tort. Mais autre chose est d'approuver et autre chose est d'agir. 

Nous savons quelle place tient l'idéal dans la vie du grand peuple américain, hésiterait-il encore à se déclarer contre l'Allemagne nazie ? Je l'ai demandé au président Roosevelt [message du 10 juin 1940], vous le savez; je lui adresse ce soir un nouvel et dernier appel. Chaque fois que j'ai demandé au président des Etats-Unis d'augmenter sous toutes les formes l'aide que permet la loi américaine, il l'a fait généreusement et il a été approuvé par son peuple. Mais aujourd'hui nous n'en sommes plus là. Il s'agit aujourd'hui de la vie de la France, en tout cas les raisons de vivre de la France. 

Notre combat, chaque jour plus douloureux, n'a désormais de sens que si, en le poursuivant, nous voyons grandir, même au loin, l'espoir d'une victoire commune. La supériorité en qualité de l'aviation britannique s'affirme tous les jours. Il faut que des nuées d'avions de guerre venus d'outre atlantique écrasent la force mauvaise qui domine l'Europe. Malgré nos revers, la puissance des démocraties restent immenses. Nous avons le droit d'espérer que le jour approche où toute cette puissance sera mise en œuvre. 

C'est pourquoi nous gardons l'espérance au cœur. C'est pourquoi, aussi, nous avons voulu que la France garde un gouvernement libre, et pour cela nous avons quitté Paris. Il fallait empêcher que Hitler, supprimant le gouvernement légal, déclare au monde que la France n'a pas d'autre gouvernement qu'un gouvernement de fantoches à sa solde, semblable à ceux qu'il a tenté de constituer un peu partout.

Au cours des grandes épreuves de son histoire, notre peuple a connu des jours où les conseils de défaillance ont pu le troubler, c'est parce qu'il n'a jamais abdiqué qu'il fut grand. Quoi qu'il arrive, dans les jours qui viennent, où qu'ils soient, les Français vont avoir à souffrir : qu'ils soient digne du passé de la nation; qu'ils deviennent fraternels, qu'ils se serrent autour de la patrie blessée; le jour de la résurrection viendra.